Translated by Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي
Le quotidien El País* de Montevideo (Uruguay), dans son éditorial du 7 Novembre 2017, crie haro sur les écrivains Eduardo Galeano et Mario Benedetti et l’auteur-compositeur-interprète Daniel Viglietti (disparu le 30 octobre) pour avoir appuyé la violence, les accusant d’avoir été « coresponsables des déviations tragiques d’un secteur de la jeunesse uruguayenne». Le simple mot « déviations » rappelle la dictature uruguayenne et bien d’autres, comme la junte argentine, dont le ministre des Affaires sociales se plaignait que le problème des étudiants était qu’ils avaient trop de temps pour penser et que la « l’excès de pensée produit des déviations ».
Pas un mot sur la violence chronique qu’El País a soutenue, avant, pendant et après la dictature, rien. Ainsi donc, dans un continent en proie à des dictatures brutales, des assassinats de masse, racistes et de classe, un siècle avant que la Guerre froide serve de prétexte à plus d’oppression et de tueries, les intellectuels auraient été les promoteurs de la violence.
Pas les généraux qui ont ordonné la disparition des dissidents, qui violaient et torturaient à volonté, beaucoup d’entre eux conseillés par des nazis (comme Klaus Barbie) protégés des puissances «du monde libre».
Pas les grands patrons qui téléphonaient au gouvernement usaméricain pour soutenir un petit putsch par-ci, un petit putsch par-là.
Pas les grands propriétaires fonciers qui disposaient de leurs péons et de leurs enfants comme de leur bétail.
Pas des commissaires qui ont appris les techniques de torture dans des écoles internationales.
Pas de ceux qui dépensaient des millions de dollars pour acheter des armes ou des opinions dans les médias.
Pas les propriétaires des grands médias qui ont manipulé l’opinion publique ou simplement caché la réalité avec beaucoup de fumée pour perpétuer l’état semi-féodal.
Oh, non, ils étaient tous des hommes responsables et modérés, des citoyens honorables prêts à se sacrifier pour la Patrie. Tous répétaient qu’ils avaient servi le pays pour ne pas dire que le pays les avait servis.
Non, bien sûr, les radicaux dangereux étaient ces intellectuels qui utilisaient des idées et des mots radicaux. Ces radicaux dangereux à cause desquels l’Amérique latine était comme elle était et si elle n’était pas pire, c’était grâce aux dictatures qui ont servi à une minuscule classe d’ exportateurs et d’exploiteurs pendant plus d’un siècle, soutenue par ses armées, ses écoles, ses églises et ses grands médias.
Certes, l’Uruguay n’a pas été le pire cas en Amérique latine. C’était peut-être presque une exception, précisément à cause de son niveau d’éducation précoce et de ses figures critiques. Mais ces putains d’intellos pointés du doigt par El País ne limitaient pas leurs critiques à leur propre pays, qui les méritait (ou non ?), mais surtout ils l’étendaient à la réalité mille fois plus brutale de l’Amérique latine et à ses implications logiques avec l’impérialisme international ( quelque chose qui, de toute évidence, n’existait pas pour El País et beaucoup de ses lecteurs).
NdT:
Principal quotidien uruguayen, El País, fondé en 1918, a toujours été lié aux « Blancs », les conservateurs issus des grands propriétaires fonciers et grands éleveurs, opposés aux « Rouges », réformistes et progressistes. Il a apporté un soutien inconditionnel à la dictature (1973-1985), censée avoir sauvé la nation du « chaos », de la « ruine » et de la menace du « totalitarisme marxiste ». Ci-dessous un exemple de Une, du 28 juin 1975. Le journal annonce la capture de 20 « factieux » (des guérilléros urbains du MLN-Tupamaros) au cours d’une opération où 3 « meneurs » ont été abattus. Comble du scandale : les « terroristes » avaient un arsenal contenant des « grenades argentines ».
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