Par Jorge Majfud
Traduit par Hortense Djomeda
Monsieur Trump:
Quand vous avez présenté votre candidature pour le Parti Républicain au milieu de l’année passée, avec l’intuition propre à un entrepreneur prospère, vous saviez déjà quel produit vendre. Vous avec eu le grand mérite de transformer la politique (qui depuis la génération fondatrice n’ a pas connu beaucoup d’intellectuels) en une parfaite campagne de marketing commercial dont le slogan principal n’a pas été non plus très sophistiqué. Les mexicains qui arrivent sont des violeurs, des criminels, des envahisseurs.
Rien de neuf et rien de plus loin de la réalité. Vous vous rendrez compte que, dans les prisons de ce pays, les migrants, légaux ou illégaux, sont minoritaires, repésentants un quart des détenus par rapport à la population carcérale américaine. Au cas où vous ne le comprenez pas, selon les statistiques, les épaules mouillées ont quatre ou cinq fois moins de possiblité de comettre un crime que vos charmants enfants, monsieur Trump. Là où l’immigration prédomine, les préjugés et le racisme augmentent et la criminalité chute.
Voyez vous, monsieur Donald, bien avant que vos grands-parents n’arrivent d’Allemagne et ne réussissent dans le business de l’hôtellerie et des maisons closes à New York, bien avant que votre mère n’arrive d’Ecosse, les mexicains avaient déjà leurs familles ici et avaient déjà baptisé les Etats de l’Ouest, les rivières, les vallées, les montagnes et les villes. L’architecture californienne et le cowboy texan, symboles de l’américain authentique ne sont rien d’autre que le résultat de l’hybridité, comme partout, entre la nouvelle culture anglosaxonne et la culture mexicaine si longtemps établie. Vous imaginez vous l’un des pères fondateurs se retrouvant nez à nez avec un cowboy sur son chemin?
Quand votre mère est arrivée dans ce pays dans les années 30, un demi-million de mexicains-américains furent expulsés. Ils étaient majoritairement des citoyens américains mais la malchance fit que la frustration nationale due à la Grande Dépression, qu’ils n’avaient pas inventée, trouva qu’ils avaient des têtes d’étrangers.
L’assimilation c’est de la violence. Dans beaucoup de sociétés c’est une exigence ; toutes les sociétés où le fascisme survit d’une façon ou d’une autre.
Ces gens ont des têtes d’étrangers et de violeurs (et vous n’êtes pas le premier à le savoir) depuis que les Etats-Unis prirent possession (disons-le ainsi pour n’offenser personne) de la moitié du territoire mexicain au milieu du 19ème siècle. Et, comme ces gens qui y vivaient déjà ne cessaient de parler une langue barbare comme l’espagnol et refusaient de changer leur couleur de peau, ils furent poursuivis, expulsés ou assassinés tout simplement, accusés d’être des bandits, des violeurs et des étrangers envahisseurs. Le vrai Zorro était brun et ne luttait pas contre le despotisme mexicain (contrairement à ce que Johnston McCulley a écrit pour pouvoir vendre son histoire à Hollywood), mais plutôt contre les anglosaxons envahisseurs qui avaient pris leurs terres. Il était brun et rebelle comme Jésus, bien que dans les peintures sacrées vous voyez le Nazaréen toujours blond, les yeux bleus et plutôt soumis. Le pouvoir hégémonique de l’ époque qui l’a crucifié avait des raisons politiques évidentes pour le faire. Et il a continué à le crucifier quand, trois siècles plus tard, les chrétiens cessèrent d’être des migrants illégaux poursuivis qui se cachaient dans les catacombes et se transformèrent en persécuteurs officiels du pouvoir en place.
Heureusement, les migrants européens comme votre père et votre épouse actuelle, n’avaient pas des têtes d’étrangers. Bien sûr que si votre mère était arrivée quarante ans plus tôt, peut-être qu’on l’aurait confondue avec des irlandais. Ces derniers avaient l’air d’envahisseurs. En plus ils étaient catholiques, avaient les cheveux comme les vôtres, cuivrés ou jaunâtres, quelque chose qui ne plaisait pas aux blancs assimilés, c’est-à-dire des blancs qui avaient été une fois discriminés à cause de leur accent polonais, russe ou italien. Mais, heureusement, les migrants apprennent vite.
Bien sûr que c’est ce que vous ainsi que d’autres exigez : les migrants doivent s’assimiler à « cette culture ». Quelle culture? Dans une société réellement ouverte et démocratique, nul ne devrait oublier qui il est pour être accepté, raison pour laquelle, à mon avis, la vertu devrait être l’intégration et non l’assimilation. L’assimilation c’est de la violence. Dans beaucoup de sociétés c’est une exigence; toutes les sociétés où le fascisme survit d’une façon ou d’une autre.
Monsieur Trump, la créativité des hommes et femmes de ce pays est admirable, bien qu’on exagère son importance tout en oubliant ses aspects négatifs.
Ce ne furent pas les hommes d’affaires qui en Amérique Latine promurent la démocratie, bien au contraire. Beaucoup d’entreprises americaines prospères ont promu des coups d’Etat sanglants et ont soutenu une longue liste de dictatures.
Ce furent des hommes d’affaires qui, comme Henry Ford, firent des contributions intéressantes à l’industrie, mais on oublie que, comme beaucoup d’autres hommes d’affaires, Ford fut un antisémite qui collabora avec Hitler. Alors même que l’on refusait l’asile aux juifs persécutés en Allemagne, de la même façon qu’aujourd’hui on le refuse aux musulmans pour la même raison, ALCOA et Texaco collaboraient avec les régimes fascistes de l’époque.
Ce ne furent pas les hommes d’affaires qui ont développé les nouvelles technologies et les sciences, mais plutôt les inventeurs amateurs ou des professionnels salariés qui, depuis la fondation de ce pays jusqu’à l’invention d’Internet, en passant par Einstein et l’arrivée de l’homme sur la Lune. Sans parler des bases de la science, fondées par ces arabes horribles et primitifs il y a des siècles, depuis les chiffres que nous utilisons jusqu’à l’algèbre, les algorytmes, ainsi que beaucoup d’autres sciences et philosophies qui de nos jours font partie de l’Occident, en passant par les européens depuis le 17ème siècle. Bien sûr que parmi eux il n’y a aucun homme d’affaires.
Ce ne furent pas des hommes d’affaires qui ont obtenu, par leur action de résistance et de lutte populaire, presque tous les progrès en droits civils que ce pays connait aujourd’hui, alors qu’à leur époque ils étaient diabolisés, considérés comme des agitateurs dangereux et antiméricains.
Monsieur Trump, je sais que vous ne le savez pas, raison pour laquelle je vous le dit: un pays n’est pas une entreprise. En tant qu’entrepreneur, vous pouvez embaucher ou licencier autant d’employés que vous voulez pour la simple raison qu’avant il y a eu un Etat qui a donné une éducation à ces personnes et qu’il y aura un Etat qui les prendra en charge quand ils seront licenciés, avec des aides sociales ou avec la police, dans le pire des cas. Un homme d’affaires n’est obligé de résoudre aucun de ces aspects externes, il ne s’ocupe que de son propre succès, qu’il confond après aux mérites de toute une nation et les vend de cette manière là, parce que c’est ce qu’un homme d’affaires sait faire le mieux : vendre. N’importe quoi.
Monsieur Trump, la démocratie a son Talon d’Achille. Contrairement à ce que l’on pense normalement dans toute société fasciste, ce ne sont pas les critiques mais plutôt les démagogues qui se gonflent de nationalisme pour abuser du pouvoir de leurs propres nations.
Vous vous vantez toujours d’être immensément riche. Je vous admire pour votre courage. Mais si nous prenons en considération ce que vous avez fait avec ce que vous avez reçu de vos parents et de vos grands-parents, on peut dire que presque n’importe quel homme d’affaires, n’importe quel travailleur de ce pays qui a demarré avec presque rien, et dans beaucoup de cas avec d’énormes dettes, dues au finacement de ses études, a plus de succès que vous.
Le turc Hamdi Ulukaya était un migrant pauvre quand il créa il y a quelques années la marque de yaourts Chobani, dont la valeur aujourd’hui est estimée à deux milliards de dollars. Sans aucun doute, quelque chose de très probable dans un pays comme celui-ci. Mais, cet homme d’affaires créatif, a eu la décence de reconnaitre que tout le mérite ne lui revient pas, que cela n’aurait pas été possible sans un pays ouvert ni sans ses employés. Il y a de cela quelques jours, il a fait don de dix pour cent de ses actions à ses employés.
Au Mexique, il y a des exemples similaires au vôtre. Même meilleurs. Le plus connu est Carlos Slim, un fils de Libanais qui, profitant des crisis économiques d’alors, comme n’importe quel homme qui a de l’argent, s’est fait une fortune qui aujourd’hui est dix fois supérieure à la vôtre, monsieur Trump.
Monsieur Trump, la démocratie a son Talon d’Achille. Contrairement à ce que l’on pense normalement dans toute société fasciste, ce ne sont pas les critiques mais plutôt les démagogues qui se gonflent de nationalisme pour abuser du pouvoir de leurs propres nations.
Athènes, considérée comme la première démocratie au monde, s’enorgueillissait de recevoir des étrangers; ce ne fut pas sa faiblesse, ni politique, ni morale. Il y avait des esclaves à Athènes, comme il y en eu dans votre pays pendant deux siècles et d’une certaine manière il y en a encore: les travailleurs sans-papiers. Athènes avait ses démagogues: Anytos par exemple, était un homme d’affaires prospère qui a convaincu de façon très démocratique le reste de la société pour qu’elle condamne à mort la tête pensante de l’époque, Socrate car il posait trop de questions, il croyait très peu aux dieux d’Athènes, car il corrompait la jeunesse avec des questionnements.
Bien sûr qu’aujourd’hui presque personne ne se souvient d’Anytos et il en sera de même pour vous sauf si vous doublez la mise et vous devenez une des figures qui, en Europe, passèrent dans l’histoire du 19ème siècle à cause de leur nationalisme exacerbé et leur haine envers tout ce semblait étranger même sans l’être. Vous trouverez toujours des partisans car cela aussi fait partie du jeu démocratique et, pour l’instant nous n’en avons pas d’autre système meilleur.
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